Un temps de saison

 

 

 

Pendant que le gigantesque vaisseau tournait sur lui-même en orbite, illuminé par la géante rouge, les hublots se refermaient en préparation du départ.

Josh jeta un rapide regard vers l’étoile avant que la cabine ne devienne aveugle. En l’absence de paysage, il dut se rabattre sur les autres passagers. Mouais. Les vols en classe affaire étaient certes confortables mais mortellement ennuyeux. Rien que des businessmen qui, plongés comme ils l’étaient dans leur travail, ne sentiraient même pas le passage.

Pour une vedette de paléovision sur le retour comme Josh, cet anonymat relatif était à la fois rafraîchissant et angoissant. Heureusement que les hôtesses, elles, l’avaient reconnu. Elles étaient aux petits soins pour lui, tout en ayant la délicatesse de ne pas lui demander d’autographe.

Bien. Il avait le choix entre écouter de la musique, dormir, ou jouer à un jeux vidéo sur l’ordinateur de son siège. Il choisit de se lever pour aller faire un brin de causette aux hôtesses. Il en avait repéré une ou deux de pas trop mal.

À peine avait-il fait quelques pas dans l’allée qu’une mégère en uniforme se plaça devant lui, les bras croisés.

— Qu’est-ce qu’il veut, le monsieur ? Il a pas vu qu’il fallait rester assis et boucler sa ceinture ?

— C’est-à-dire que… je cherchais les toilettes et…

— C’est une excuse d’enfant, ça. Retournez vous asseoir.

Pour qui se prenait-elle ? s’insurgea-t-il. Comment pouvait-elle oser s’adresser ainsi à Josh Kendal, le grand acteur que tout le monde avait vu dans des films comme "La brosse ou les caries, il faut choisir", "Oui à la sécurité aérienne", ou "Je mange des légumes, c’est bon pour ma santé" !

Malgré tout, il revint à sa place sans rien dire.

*

* *

Josh commençait à vraiment trouver le temps long. Plus d’une heure qu’il restait cloué là, et le saut n’avait toujours pas été effectué. Et cette jeune hôtesse, là-bas, qui se dandinait dans son petit tailleur moulant… Mais il y avait l’autre grosse vache qui gardait un œil sur lui. Il saisit sa chance au moment où la charmante demoiselle passait devant lui pour aller en direction de la réserve, au fond de l’immense cabine passagers. Il lui emboîta le pas.

Alors qu’il s’apprêtait à cogner à la porte derrière laquelle se trouvait la jeune femme – après s’être recoiffé avec rapidité et précision et avoir préparé son plus beau sourire dentifrice – il sentit une main se poser sur son épaule. Il se retourna. Mince, le gros boudin. Essayons la méthode habituelle.

— Hello, vous. Je suis Josh Kendal. Peut-être m’avez-vous vu dans des films comme "Traversez sur les passages clignotants", ou encore…

— Essaye pas ton baratin, coco. Je ne…

La femme ne put finir sa phrase. La porte s’ouvrit violemment et la projeta dans un renfoncement. Josh, placé entre le mur et elle, ne pouvait dire un mot, l’opulente poitrine de la dame assurant un bâillon efficace. Mais il reconnut la voix de la jeune et charmante hôtesse.

— Personne ne moufte ! Le vaisseau a été détourné pour la gloire de l’avènement de l’ère Héliostatique ! Soyez heureux, vos âmes seront graciées. Nous allons nous écraser sur le palais hérétique de la démocratie libérale ! Gloire à l’ère Héliostatique !

Josh repoussa délicatement mais fermement l’agglomérat adipeux qui l’emprisonnait. Une dizaine de personnes armées tenaient les passagers en joue. Personne n’avait remarqué sa présence – ni celle de sa compagne imprévue, pourtant corpulente – dans ce petit recoin à demi-masqué par la porte.

Que pouvait-il faire ? Dans "Laissez la police s’occuper de tout", il avait bien expliqué aux citoyens qu’il fallait s’en remettre aux forces de l’ordre. Mais d’un autre côté, quelle publicité cela lui ferait, de sauver un vaisseau des mains de terroristes de l’ère machin-chose ! Sans compter qu’il ne tenait pas réellement à savoir si une brigade réussirait ou non à les sortir de là avant qu’ils ne s’écrasent.

Il leva la tête pour regarder la matrone qui était restée à ses côtés.

— Peut-on sortir sans être vu, ma belle ? murmura-t-il.

Sans mot dire, la femme déverrouilla une trappe au sol, par laquelle ils purent se glisser dans un étroit couloir de service.

Le but de Josh était d’atteindre la cabine de pilotage. Le chef de ces illuminés devait s’y trouver. Il suffirait de le prendre en otage pour stabiliser la situation jusqu’à l’arrivée des secours. Il exposa son plan à l’hôtesse bourrue.

" Par là ", lui répondit-elle, sèchement. Estimant que le doigt boudiné tendu vers la droite du couloir indiquait la direction à suivre, il s’y engagea en courant. De lourdes vibrations lui indiquèrent que l’hôtesse le suivait au même rythme.

*

* *

Après une demi-heure, ils avaient dû traverser la moitié du vaisseau, et une porte marquée "Poste de pilotage" leur faisait face. N’écoutant que son courage, Josh ouvrit le passage et se jeta en avant pour profiter de l’effet de surprise.

Il eut alors la joie et le bonheur de découvrir que l’entrée de maintenance était située à une quinzaine de mètres du sol. Il laissa échapper un cri, à l’instant même où l’hôtesse le rattrapait de justesse par la main.

Il jeta un œil vers le bas, et put voir plusieurs hommes épauler des armes diverses et les pointer dans sa direction. Il releva la tête vers celle qui tenait sa vie dans ses mains. Sa voix trembla.

— Tiens ma main. Plus fort ! Oui comme ça. C’est bien, baby.

Avec force grognements, elle réussit à le hisser dans le couloir et à refermer la porte alors que les premiers projectiles arrachaient des éclats de parois autour d’eux.

Il tomba dans ses bras et elle referma ses paluches sur ses épaules.

— Merci, darling. Vous venez de sauver toute l’industrie de la phonovision.

— Peut-être, mais nous ferions mieux de filer d’ici et de laisser les autorités se charger du problème. Ça vous dirait de prendre une capsule de sauvetage ?

Josh fit la moue. Comme il l’avait dit dans "Carrière et emploi, comment grimper fissa", il faut, à certains moments choisis, accorder la priorité à son épanouissement personnel. Il acquiesça.

*

* *

La petite capsule avait rudement atterri au milieu d’une plaine herbeuse. Au loin, une forêt s’étendait sur de vastes collines.

— Où sommes-nous, chère amie ?

— Sur Len-2, un satellite inhabité.

La femme posait sur lui un regard d’une telle douceur que Josh en eut un frisson. Elle ajouta :

— Nous y serons très bien.

Josh inspira à fond, sentant la déprime le gagner tout doucement. L’air était chargé des parfums du printemps. Il faisait un temps de saison.